Quand Serge Gainsbourg achetait le manuscrit de La Marseillaise (1981).

À Versailles, en décembre 1981, Serge Gainsbourg décidait de s’offrir le manuscrit autographe signé de la Marseillaise par Claude Rouget de Lisle. Ce manuscrit n’était pas l’original mais une réécriture « au propre » de l’hymne, datée du 7 août 1833 et accompagné d’un envoi ironique à Luigi Chérubini ( » Je vous adresse une de mes vieilles sornettes… »). Gainsbourg fut l’acquéreur pour la somme de 130.000 francs (ce qui d’après le convertisseur francs-euros de l’Insee – qui prend en compte l’évolution inflationniste) équivaudrait aujourd’hui en 2019 à la somme de 63.000 € (hors frais de vente). « J’étais prêt à monter jusqu’à 1 million de francs … » déclarait l’auteur-compositeur à la sortie.

Manuscrit autographe signée de La Marseillaise par Claude Rouget de Lisle.

En achetant ce manuscrit symbolique, Gainsbourg se permettait avec noblesse et provocation de prendre à contre-pied ses détracteurs. En effet, deux ans plus tôt était sorti son album Aux Armes et caetera (13 mars 1979). Album enregistré en Jamaïque (pour ma part, album touché par la grâce et dont je ne me lasserai jamais, ne serait-ce que pour le titre Lola Rastaquouère) et qui comprenait une reprise de la Marseillaise… mais version reggae. Les esprits conservateurs s’étranglèrent devant l’audace de Gainsbourg. Comment avait-il pu oser toucher à l’hymne national en le travestissant aux couleurs d’une musique syncopée, sensuelle, et en prime en abrégeant brutalement le refrain fédérateur. Colère, hystérie et dénonciations des esprits les plus obtus qui se levèrent et crièrent au scandale (l’écrivain et académicien Michel Droit déclara dans Le Figaro : « l’odieuse chienlit (…) une profanation pure et simple de ce que nous avons de plus sacré… »). Pour beaucoup d’entre eux la culture s’était arrêtée au pire à la mort de Chopin et au mieux , à la grande rigueur, à l’extrême limite décente, à l’enterrement de Claude Debussy… (problème d’ordre général dont il me faudra approfondir le sens dans un autre article).

Des parachutistes firent même irruption lors d’un concert de Gainsbourg en janvier 1980 à Strasbourg, prêts à en découdre avec le chanteur et son groupe (au passage celui de Bob Marley tout de même). Finalement, sans se démonter, Gainsbourg les apostropha et entonna A capella La Marseillaise devant les militaires. A défaut de bander ses muscles (qu’il n’avait pas) il fit bander son mépris et son courage devant un parterre d’hommes sur-musclés et en supériorité numérique (quand d’autres auraient fuit).

Ce jour de décembre 1981, Gainsbourg répondant à un journaliste qui lui demandait ce qu’il comptait faire du manuscrit, déclara dans une ultime provocation : « ce sera pour mettre sur mon balcon… ». Dernier détail, dans le manuscrit acheté Versailles, Rouget de Lisle avait écrit au passage du refrain : « Aux armes, Citoyens ! etc…. ». (http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/images/lamarsei.pdf).