Le Massacre de la rue Transnonain (14 avril 1834) : un imprimé d’époque du général de Failly.

Le massacre de la rue Transonain nous évoque dans un premier temps l’oeuvre la plus connue d’Honoré Daumier. Dans cette lithographie, on y voit un homme mort, glissant de son lit et écrasant un bébé sous le poids de son dos. On remarque aussi le visage d’un vieillard gisant mort au sol. Cette oeuvre est considérée comme l’une des premières manifestations artistique du Réalisme. C’est aussi de la part de Daumier, un acte politique, une révolte contre la répression violente et aveugle du gouvernement de Louis-Philippe. Devant la crudité et le choc esthétique de l’image, le roi avait cherché à la censurer, à saisir les épreuves et la pierre, mais n’y était pas parvenu ou alors trop tardivement. La lithographie était si brutale qu’elle se diffusa et s’exposa rapidement aux yeux du public. L’image que représente cette lithographie est une des plus saisissantes de l’histoire du XIXe siècle en France. Quelques années plus tard, Charles Baudelaire écrira à son propos : « Ce n’est pas précisément de la caricature, c’est de l’histoire, de la terrible et triviale réalité ». 

Le Massacre de la rue Transnonain, lithographie d’Honoré Daumier (1808-1879)

On a tendance à oublier l’histoire de cette tragédie que le journaliste et caricaturiste Charles Philipon (1806-1862) a comparé à une « boucherie ». Revenons aux faits. À la joie et au soulagement de voir les Bourbons quitter le trône de France en juillet 1830, succède assez rapidement une crispation sociale et politique. De nombreux mouvements populaires agitent le pays et la répression qui s’exerce doublée d’une crise économique renforcent l’opposition républicaine (favorables à l’origine au niveau régime orléaniste). 

La menace que les  groupes républicains (dont les sociétés secrètes) font peser sur la stabilité du régime force Louis-Philippe à prendre des mesures de coercitions. Plusieurs lois sont votées par le  gouvernement qui interdisent les associations politiques, renforcent la censure et facilitent les révocations d’autorisations dont dépendent les journaux pour paraître. Devant de telles mesures liberticides, le journaliste Armand Carrel (1800-1836) invite ses lecteurs du National à « répondre à la suspension de l’égalité par la suspension de l’ordre public ». 

Louis-Philippe Ier, roi des Français (1773-1850)

Le 9 avril 1834, soit 5 jours avant les évènements de la rue Transnonain, une manifestation a lieu à Lyon (manifestation organisée par la Société des Droits de l’Homme et le Conseil exécutif des sociétés ouvrières de secours mutuel). Une émeute éclate (9-12 avril) et s’étend à Paris (13 avril). 

Plusieurs foyers de révolte se soulèvent à Paris dans les quartiers populaire du centre (autour particulièrement de l’actuel quartier Beaubourg). Le 14 avril, proche d’une barricade formée dans la rue Transonain, un capitaine d’infanterie est blessé par un coup de feu provenant d’un immeuble. Ce coup isolé met le feu aux poudres. La répression sera disproportionnée. Douze des cinquante occupants de l’immeuble du 12 rue Transnonain (dont des femmes, des enfants et des vieilles personnes) furent massacrés et tués par les troupes militaires. Quatre autres personnes furent grièvement blessées.  Le choc dans l’opinion est terrible et ternit aussi bien l’image de la monarchie orléaniste que son armée.

Nous proposons ce mois-ci à notre catalogue un rarissime document historique concernant ce massacre. Il s’agit d’un imprimé reproduisant une lettre écrite par l’officier (et futur général) Pierre-Louis Charles de Failly (1810-1892) qui est resté célèbre pour sa grande cruauté dans l’histoire du massacre de la rue Transnonain.

Nous reproduisons ci-dessous quelques extraits de cette lettre de Failly, tenant de justifier sa conduite le 14 avril 1834  :

« En attendant les preuves judiciaires, voici un officier du 45e ligne qui repousse avec indignation les calomnies dont son régiment a été victime ; il a adressé au National la lettre suivante,

Aux rédacteurs du National.

« M. le Rédacteur,

En exposant les évènements malheureux dont la rue Transnonain a été le théâtre, vous avez paru accepter comme vrai tous les on dit que la malveillance et l’esprit de parti se sont plu à enfanter, et comme ils flattaient votre haine, vos antipathies, vous n’avez pas voulu attendre que la vérité tout entière sortit des débats qui venaient de s’engager, et vous n’avez pas craint de flétrir d’épithètes infamantes un régiment à qui l’on ne peut reprocher que son inflexibilité dans le devoir.

Aujourd’hui, nous repoussons hautement ces épithètes comme flétrissantes (…) Oui, nous sommes plus que des hommes faits pour massacrer et être massacré ; nous avons aussi un coeur qui se déchire au douloureux souvenir des événements qui viennent de se passer. Plus qu’à personne il nous est permis de nous plaindre, car nos pertes sont amères, nos plaies encore saignantes ; et cependant nous pleurons sur tout le sang versé. 

Nous déplorons les excès qui peuvent se commettre pendant l’exaltation du combat : le sang excite à verser le sang ; sa vue enivre : mais il n’est pas vrai qu’on puisse accuser nos soldats d’une cruauté qui n’est pas dans leur caractère. Oui, je le répète, nous déplorons les malheurs qui ont pu arriver ; mais nous ne les avons point provoqués, et le sang fratricide ne doit pas retomber sur nos têtes. 

(…)

Lundi au matin, cinq barricades sont enlevées par les voltiguers commandés par l’intrépide capitaine Dupont de Gault, qui tombe blessé d’un coup de feu, au moment où, le premier, il franchit la dernière. Ma compagnie arrive dans la rue Transnonain. Des coups de fusil sont tirés des deuxièmes et troisièmes étages du n°12. Ce ne sont pas des on dit que je rapporte ici, mais des faits. Le brave capitaine Rey, à la tête de ses grenadiers, qui nous précédaient, est frappé à mort. L’ordre est donné de pénétrer dans les maisons d’où est parti le feu. Deux portes de magasin sont enfoncées avant la porte du n°12 ; un de ses habitants, loin de s’empresser à l’ouvrir, comme on a bien voulu le prétendre, tire un cou de fusil au moment où elle cède sous les efforts des sapeurs-pompiers (…) Personne, nous l’attestons sur l’honneur, n’a entendu les cris : voilà la ligne ! voilà nos libérateurs !

(…) des armes sont trouvées dans divers appartemens. Dira t-on qu’il n’y avait dans cette maison que des locataires paisibles et inoffensifs ? Qui donc a tiré et pourquoi ces étrangers ? Pourquoi un poignard sur une table, des fusils, des pistolets encore noircis de poudre et cachés à la hâte ? ».

Vous retrouverez ce document historique sur le site internet de notre galerie ainsi que toutes nos lettres autographes concernant la Monarchie de Juillet.

La rue Transonain n’existe plus aujourd’hui. Elle a disparu au milieu du XIXe siècle lors de l’élargissement de la rue Beaubourg.