La première grande vente consacrée aux autographes : la collection Bruyère-Chalabre (1833)

Les premières ventes aux enchères d’autographes qui s’étirent entre le début du XIXe siècle et le début des années 1830 ne consacrent pas de collections privées même si elles existent depuis des siècles. Déjà dans la Rome antique, le consul romain Mussianus, ami de Vespasien et de Pline l’Ancien était célèbre pour sa grande collection de lettres en 14 volumes. Plus proche de nous, Loménie de Brienne (1561-1649), ambassadeur de Henri IV, avait entreprit une grande collection d’autographes qui fut d’ailleurs rachetée ensuite par Louis XIV. Nous ne citerons pas la liste entière des collectionneurs connus du XVIIe et XVIIIe siècle. Nous dirons seulement que la collection privée remonte aux temps les plus anciens.

Mais alors que les autographes deviennent une valeur marchande au début du XIXe siècle, les premières collections privées sont désormais consacrées par des catalogues et de grandes ventes aux enchères. La première d’entre elles s’est déroulée entre le 6 mai et le 25 mai 1833. Il s’agissait de la collection de M. de Bruyère Chalabre. 

Nous ne savons que très peu de chose sur le marquis de Chalabre. Octave Uzanne dans ses Zigzags d’un Curieux (1888) le cite comme ayant été connu parmi les grands collectionneurs d’autographes du XIXe siècle au côté des Guilbert de Pixérécourt, Alexandre Dumas, Guizot, Sainte-Beuve, Feuillet de Conches, Cherubini et autres marquis de Flers.

Nous retrouvons aussi la trace de Bruyère-Chalabre dans un curieux livre d’Alfred Marquiset publié en 1917 et ayant pour titre Jeux et joueurs d’autrefois (1789-1837).Dans ce livre traitant de la passion du jeu, il est simplement mentionné que M. de Bruyère Chalabre en huit ans de fréquentation du Cercle des Etrangers  perdit entre 400.000 et 500.000 francs en jeux les plus divers. On en conclura facilement que notre homme devait disposé d’une fortune considérable.

Cette collection fut le fruit d’achats frénétiques qui ne durèrent que trois ans seulement (passion passagère ?). Bruyère Chalabre ne lésina pas sur son temps et sur ses moyens. Il s’était subitement intéressé aux signatures royales et avait en tête d’établir une des collections les plus complètes. Tout ce qu’il trouva dans les salles de vente ou chez les particuliers, il se les procura avidement. 

Ce fonds a marqué la mémoire des amateurs de manuscrits car comme l’exprime M. de Lescure dans Les Autographes en France et à l’étranger. Portraits, caractères, anecdotes, curiosités (Jules Gay éditeur, 1865) : « Il serait difficile de citer de nos jours (…) de plus complètes et de plus affriolantes séries d’écritures royales »

La présentation du catalogue imprimé pour la circonstance se fit ainsi : »Galerie curieuse où nous voyons peints à nu et par eux-mêmes, des personnages que le prestige de leur naissance ou de leur célébrité ne nous laisse apercevoir ailleurs que sous l’appareil du grand costume« .

La collection Bruyères Chalabre était avant toute chose réputée pour ses rois, ses reines, ses maîtresses, ses secrets de cour et ses secrets d’alcôves.

Les principaux résultats de cette vente :

*LAS d’Anne de Bretagne à sa fille Claude, femme de François Ier : 60 francs

*Lettre de cachet signé de François Ier exprimant son mécontentement contre le Parlement de Paris en suspendant les conseillers de leur fonction (juillet 1543) : 23 francs

*LAS d’Henri III à sa mère Catherine de Médicis : 50 francs.

*LAS de Catherine de Médicis au duc de Montpensier (avril 1580) : 31 francs 50. 

*LAS d’Henri IV à la marquise de Verneuil (sans date) dans laquelle il témoigne son amour : 205 francs (acquise par Guilbert de Pixérécourt).

*LAS d’Henriette-Marie, fille de Henri IV et femme de Charles Ier roi d’Angleterre, au Cardinal de Richelieu : 76 francs.

*LAS de Louis XIII à M. de la Ville-aux-Clercs (13 avril 1626) : 54 francs 95.

*LAS d’Anne Autriche au duc de Luynes : 61 francs.

*3 LAS de Louis XIV à mademoiselle de Lamoignon (datées de 1676-1677) : 57 francs.

*LAS de Louis XV au comte d’Evreux (avril 1745) : 22 francs.

*Billet autographe de Marie-Antoinette à M. de la Luzerne : 51 francs.

*Lettre autographe de 4 pages de Madame de Sévigné à madame de Grignan (octobre 1684) : 45 francs.

*LAS du duc de Saint-Simon (décembre 1720) : 25 francs 50.

Le plus surprenant dans cette vente aura été les documents autographes précieux de certains personnages qui furent vendus « au rabais » :

*Trois pages manuscrites autographes non signées de Madame de Pompadour : 11 francs 

*La minute d’une lettre autographe du Maréchal de Saxe (6 pages) : 11 francs 50.

*Une importante lettre de Fénelon ne trouve preneur qu’à 17 francs.

*Pour 225 francs, cinq lettres de Saint-Vincent-de-Paul sont adjugées. (elles coûteront 5 fois plus trente ans plus tard).

*Une lettre autographe signée de Buffon est vendue 10 francs. 

Autres fait marquant dans la vente : un faux est repéré par les organisateurs. En effet, une lettre autographe signée de Paul Pellisson (1624-1693) ne trouve preneur que pour 2 francs 50. Il s’agissait d’un calque sur papier vélin ! (le papier vélin ne voit le jour qu’en 1750…). Anecdote amusante qui révèle bien la montée en puissance du commerce des autographes qui est désormais sous la menace des faussaires.

Rarissime lettre autographe signée de Fénelon à la duchesse de Beauvilliers (Bibliothèque nationale de France).

En dehors des signatures royales ou de Cour, le catalogue Bruyère-Chalabre proposait : Leibniz (20 francs 50), Boileau Despréaux (27 francs 50), Fontenelle (28 francs), J.J Rousseau (25 francs), Diderot (29 francs), D’Alembert (10 francs). 

Le catalogue de cette vente a été éditée en 1833 mais il est très difficile de le trouver. Des sites anglo-saxons proposent néanmoins des reproductions (voir AbeBooks).