Auteur : admin7850

Une lettre autographe de Picasso à Apollinaire

En lisant l’excellent ouvrage Les Archives de Picasso, « On est ce que l’on garde » (Edition de la Réunion des musées nationaux, Seuil, Paris, 2003), je suis tombé sur cette lettre autographe signée de Pablo Picasso à Guillaume Apollinaire, datée du 8 juillet 1918.

Lettre autographe signée de Picasso à Guillaume Apollinaire, 8 juillet 1918.

La lettre est très émouvante puisque Picasso rappelle à son ami qu’il doit être témoin à son mariage prévu le lendemain avec Olga Khokhlova, danseuse russe qui participa aux ballets de Serge Diaghilev. Dans cette lettre, il lui écrit : « Mon cher Guillaume, tu dois avoir eu ma lettre pour que tu sois à la mairie du 7e à 5 heures demain mardi. Je voudrais savoir si tu penses venir. Si pour quelque chose tu serais empêché, dis le moi pour que je tache de trouver un autre témoin pour demain. Bien à toi mon cher ami. Picasso« .

Finalement, les noces eurent lieu trois jours plus tard (12 juillet). Elles furent célébrées à l’église russe en présence notamment des trois témoins : Jean Cocteau, Max Jacob et Guillaume Apollinaire. La lettre est écrite sur le papier à en-tête de la maison de santé où était hospitalisée Olga depuis son accident. La jambe cassée, Olga mettra un terme définitif et bien malheureux à sa carrière de danseuse.

En lisant cette lettre, trois pensées me sont venues. D’abord, quelle merveilleuse liberté que de se demander la vieille de son mariage si son témoin viendra ou non. Bien qu’il n’aurait pas été difficile pour Picasso de trouver un remplaçant, on devine que la cérémonie ne devait pas angoisser plus que ça Picasso. Peu de conventions, un soupçon de bohème, le bateau-lavoir en somme. Ensuite, quelle richesse historique et culturelle, ou quelle jonction rare de talents. En terminant la lecture de cette lettre, on entend comme un un long écho : Picasso, Apollinaire, Olga, Diaghilev, les ballets russes, Cocteau, Max Jacob, Paris… tout un univers qui aujourd’hui fait encore rêver et passionne les historiens et les amateurs d’art. Enfin, comment ne pas penser aussi au destinataire en regardant la date. Guillaume Apollinaire, revenu blessé de la guerre, allait mourir quelques mois plus tard en novembre 1918. Il s’était marié en mai de la même année avec Jacqueline et ses témoins avaient été Ambroise Vollard, Gabrièle Buffet et… Picasso.

Conclusion ? Voici l’exemple type de l’importance du contenu d’une lettre autographe et ce qui par conséquent constitue sa valeur. Cette lettre qui au premier abord peut sembler intéressante sans a priori bouleverser nos connaissances ou la marche du monde, est le strict reflet d’un univers particulier et pas le moindre, celui qui accoucha d’une multitude de révolutions artistiques durant la Belle-Époque (et par la suite). J’écris cela car si l’on me demande souvent en ma qualité de marchand ce qui fait la valeur d’une lettre autographe ou d’un manuscrit, je réponds toujours que le contenu prime avant toute chose. Cette lettre de Picasso est ce que je considère un trésor. Je parlais précédemment d’un « écho ». Je pourrais aussi citer Flaubert qui parlant de l’odeur des châteaux écrivait qu’ils sentaient « l’exhalaison des siècles ». Cette lettre exhale totalement son époque et seul les trésors en sont capables. Et si l’on en revient à l’aspect le moins noble de mon métier, à savoir les prix, un manuscrit tel que celui-là en a t-il un ?

Note : Flaubert écrit exactement dans L’Éducation sentimentale : « cette exhalaison des siècles, engourdissante et funèbre comme un parfum de momie, se fait sentir même aux têtes naïves… » Funèbre peut-être mais je reprend ici que cette expression d' »Exhalaison des siècles » dont la signification correspond selon moi très bien aux plus belles lettres autographes.

Nous n’avons pas actuellement de lettres autographes de Picasso à notre catalogue. Néanmoins, vous retrouverez un manuscrit autographe de Jean Cocteau sur Louis de Vilmorin, une lettre autographe de Max Jacob sur la mort de Guillaume Apollinaire et une lettre autographe d’Ambroise Vollard.

Quand Serge Gainsbourg achetait le manuscrit de La Marseillaise (1981).

À Versailles, en décembre 1981, Serge Gainsbourg décidait de s’offrir le manuscrit autographe signé de la Marseillaise par Claude Rouget de Lisle. Ce manuscrit n’était pas l’original mais une réécriture « au propre » de l’hymne, datée du 7 août 1833 et accompagné d’un envoi ironique à Luigi Chérubini ( » Je vous adresse une de mes vieilles sornettes… »). Gainsbourg fut l’acquéreur pour la somme de 130.000 francs (ce qui d’après le convertisseur francs-euros de l’Insee – qui prend en compte l’évolution inflationniste) équivaudrait aujourd’hui en 2019 à la somme de 63.000 € (hors frais de vente). « J’étais prêt à monter jusqu’à 1 million de francs … » déclarait l’auteur-compositeur à la sortie.

Manuscrit autographe signée de La Marseillaise par Claude Rouget de Lisle.

En achetant ce manuscrit symbolique, Gainsbourg se permettait avec noblesse et provocation de prendre à contre-pied ses détracteurs. En effet, deux ans plus tôt était sorti son album Aux Armes et caetera (13 mars 1979). Album enregistré en Jamaïque (pour ma part, album touché par la grâce et dont je ne me lasserai jamais, ne serait-ce que pour le titre Lola Rastaquouère) et qui comprenait une reprise de la Marseillaise… mais version reggae. Les esprits conservateurs s’étranglèrent devant l’audace de Gainsbourg. Comment avait-il pu oser toucher à l’hymne national en le travestissant aux couleurs d’une musique syncopée, sensuelle, et en prime en abrégeant brutalement le refrain fédérateur. Colère, hystérie et dénonciations des esprits les plus obtus qui se levèrent et crièrent au scandale (l’écrivain et académicien Michel Droit déclara dans Le Figaro : « l’odieuse chienlit (…) une profanation pure et simple de ce que nous avons de plus sacré… »). Pour beaucoup d’entre eux la culture s’était arrêtée au pire à la mort de Chopin et au mieux , à la grande rigueur, à l’extrême limite décente, à l’enterrement de Claude Debussy… (problème d’ordre général dont il me faudra approfondir le sens dans un autre article).

Des parachutistes firent même irruption lors d’un concert de Gainsbourg en janvier 1980 à Strasbourg, prêts à en découdre avec le chanteur et son groupe (au passage celui de Bob Marley tout de même). Finalement, sans se démonter, Gainsbourg les apostropha et entonna A capella La Marseillaise devant les militaires. A défaut de bander ses muscles (qu’il n’avait pas) il fit bander son mépris et son courage devant un parterre d’hommes sur-musclés et en supériorité numérique (quand d’autres auraient fuit).

Ce jour de décembre 1981, Gainsbourg répondant à un journaliste qui lui demandait ce qu’il comptait faire du manuscrit, déclara dans une ultime provocation : « ce sera pour mettre sur mon balcon… ». Dernier détail, dans le manuscrit acheté Versailles, Rouget de Lisle avait écrit au passage du refrain : « Aux armes, Citoyens ! etc…. ». (http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/images/lamarsei.pdf).

Par le passé, Marcel Proust à Venise (1900)

Le document que nous présentons aujourd’hui ne nous appartient malheureusement pas. Et pourtant, nous avions tenté sans succès de l’acquérir lors d’une très belle vente chez Sotheby’s Paris en mai 2016. Cette vente assez unique était consacrée à la collection familiale de Patricia Mante-Proust (arrière petite nièce de l’écrivain), une collection émouvante étant donnée la quantité de documents précieux et rares relatifs à Marcel Proust.

Photographie (anonyme) de Marcel Proust à Venise en 1900. Vendue chez Sotheby’s en mai 2016

Cette photographie prise en mai ou octobre 1900 qui apparaissait sous le lot n° 175 est bien connue des proustiens. On y voit l’auteur d’À la Recherche du temps perdu de profil, presque de dos, assis sur un balcon au bord d’un canal. Il porte un chapeau, le bras appuyé sur le dossier de sa chaise et la main contre son menton, observant l’horizon d’un air pensif. Il s’agit d’un tirage argentique d’époque aux dimensions modestes (9,2 x 9,2 cm). Certains préfèreront certainement un portrait de face, en buste, expressif. Mais personnellement, je trouve qu’il se dégage de cette photographie deux choses essentielles et presque inédites si on la compare aux autres photographies connues de Proust.

Premièrement, Proust pose t-il où a t-il été pris au dépourvu ? Cette dernière hypothèse semble peu crédible étant donné l’extrême lenteur des appareils photographiques de l’époque (nous sommes en 1900, date de son séjour à Venise). Si Proust pose (au sens de chercher un « effet ») alors quel est le sens de cette posture ? Et là sur ce point, on peut se perdre en suppositions des heures durant (je dis cela par expérience avec certains de mes amis collectionneurs). Tourner le dos, n’est-ce pas se détourner de quelque chose ? Ou se désintéresser, dédaigner, voir « se refuser à… ». Dans le cas précis de cette image, on imagine plusieurs hypothèses de la part de Proust : une banale envie d’être seule, de s’isoler ; se détourner de la modernité que symbolise l’appareil photographique, profanateur de ce que représente elle-même Venise, ville du passé et « Jérusalem » de l’art ; petite fâcherie avec celui qui prend la photographie… (Proust avait visité Venise en mai 1900 en compagnie de Reynaldo Hahn et de sa mère). La posture semble étrange, qu’elle soit affectée ou naturelle. C’est, de toutes les photographies connues de Marcel Proust, la plus mystérieuse.

Une autre version de cette photographie. Passée en vente en 2018, elle a trouvé acquéreur pour 3.500 € (Hors frais de vente). Mais où étais-je ce jour là…

Deuxièmement, son regard et le mouvement de son bras trahissent la posture de l’homme « pensant » -intensément -. Si l’on replace cette photographie dans le contexte biographique, nous savons qu’à la suite de la mort de John Ruskin en janvier 1900, Proust prend la décision de traduire en français La Bible d’Amiens, essai de critique d’art qui était paru en 1884 en Angleterre. Cette nouvelle entreprise marque un tournant pour l’écrivain qui abandonne définitivement la rédaction de Jean Santeuil, oeuvre de jeunesse préfigurant la Recherche. Pense t-il à Ruskin en admirant le Grand Canal ? Certainement, puisque ce voyage était un pèlerinage ruskinien. Dans sa préface de La Bible d’Amiens, Proust décrira le bonheur « d’avoir pu , avant de mourir, approcher, toucher, voir, incarnées en des palais défaillants mais encore debout, les idées de Ruskin sur l’architecture domestique du Moyen-âge ».

En ce frais début de XXe siècle, Proust se cherche, ouvre une voie vers un nouveau projet littéraire. Sur ce balcon, pense t-il à ses échecs littéraires (Les Plaisirs et les jours, Jean Santeuil), amorce t-il une réflexion sur l’inutilité de sa vie mondaine et son dilettantisme ? Lui qui doutait fortement de ses talents littéraires. Pressent-il quelque chose en regardant cet horizon ? C’est – par pure spéculation – l’idée que je me fais de cette photographie. Peu de temps après son retour de Venise puis de Combray, ne fait-il pas dire à son narrateur : « Mon absence de dispositions pour les lettres, pressentie jadis du côté de Guermantes, confirmée durant ce séjour (…) me parut quelque chose de moins regrettable, comme si la littérature ne révélait pas de vérité profonde ; et en même temps il me semblait triste que la littérature ne fût pas ce que j’avais cru… » (Le Temps retrouvé, édition NRF Gallimard, p. 18). Cette photo me semble t-il est l’illustration d’un homme à la croisée des chemins. Et si je prends à la lettre la définition de « tourner le dos » dans un dictionnaire, je lis : « prendre un autre chemin ».

Voilà donc la raison pour laquelle, j’aurai tant aimé l’acheter et la cataloguer. Mais elle a été adjugée 17.500 €, Ce qui me paraissait un tantinet cher, mais tout trésor à son prix, et j’envie un peu son possesseur.

Note : Nous avons actuellement à notre catalogue une très belle série de photographies de la famille Proust (Adrien Proust, Jeanne Weil-Proust, Robert Proust et sa femme Marthe Dubois) ainsi que deux lettres autographes de Marcel Proust que vous pouvez consulter sur notre catalogue.

Un autographe de Napoléon après la bataille d’Eylau (1807)

Notre galerie propose actuellement une lettre très intéressante de l’empereur Napoléon Ier. Écrite le 2 mars 1807, d’Osterode (Ostróda en Pologne), quelques jours seulement après la sanglante bataille d’Eylau (8 février 1807), cette lettre est tout à fait représentative du caractère de Napoléon Ier ; à savoir, nerveux, autoritaire et fin stratège. Nerveux surtout car l’Empereur après sa victorieuse campagne en Prusse à l’automne 1806, et malgré sa victoire à Eylau, ne triomphe pas totalement de ses adversaires russes. Il faudra attendre seulement la bataille de Friedland en juin 1807 pour que Napoléon puisse asseoir et son hégémonie et sa volonté (ce qui débouchera sur le traité de Tilsitt en juillet 1807 et à la fin de la quatrième coalition européenne).

Dans cette lettre écrite au général Jean-François Aimé Dejean (1749-1824), qui sera fait comte de l’Empire l’année suivante, Napoléon dicte sa décision : « Monsieur Dejean, je reçois votre rapport par lequel vous concluez que l’armée doit avoir plus de fusils que d’hommes. Sans doute, si elle n’en avait pas consommé, une bataille comme celle d’Austerlitz coûte au moins 12000 fusils, de grande marches en coûtent aussi. Jugez. Vous pouvez aisément juger des nombres qu’on en a perdu depuis deux ans, ce n’est pas exagéré que de les porter à soixante mille. Sans les fusils autrichiens et saxons, le France aurait du en fournir bien davantage. .. »

La lettre est écrite par Claude-François de Méneval (1778-1850) qui fut le secrétaire et plus proche collaborateur de Napoléon entre 1802 et 1813. L’Empereur signe la lettre d »un « Napol ». Cet autographe de napoléon est disponible à notre catalogue.

Une exposition consacrée à Marie-Joséphine Louise de Savoie.

Le Centre des monuments nationaux organise du 5 septembre au 26 octobre 2019 une exposition consacrée à Marie-Joséphine Louise de Savoie (1753-18010) qui fut comtesse de Provence et épouse de Louis XVIII. Cette exposition se tient actuellement à la Chapelle expiatoire, 29 rue Pasquier, 75008, Paris.

Notre Galerie est très heureuse d’avoir prêté à cette occasion une lettre autographe signée de Louis XV, datée du 12 mai 1771 et relative au mariage du comte de Provence et de Marie-Joséphine Louise de Savoie. Nous vous retranscrivons le contenu de cette lettre, assez drôle compte tenu de l’inclination bien connue du roi pour la gent féminine :

Lettre autographe signée, Fontainebleau, 12 mai 1771, à Ferdinand Ier de Parme, 1 page in-4, sceau royal de cire noire : « Mon cher petit-fils, j’arrive de recevoir la comtesse de Provence. Elle est très bien faite, pas grande, de très beaux yeux, un vilain nez, la bouche mieux qu’elle n’était, fort brune de cheveux, et de sourcils, et la peau parfaitte pour une brune. Ces dames la disent très aimable, c’est ce que nous verrons. Il a fait très beau tout le chemin, en arrivant nous avons eu un peu de pluie. Je vous embrasse de tout mon coeur mon cher petit-fils. Louis ».

Cette lettre est disponible à notre catalogue consacré aux lettres autographes.

Lettre autographe signée de Louis XV, 12 mai 1771.

Courte histoire des grandes collections de manuscrits littéraires.

À la suite d’un très intéressant article de Thierry Bodin dans Les Ventes de livres et leurs catalogues (XVIIe-XXe siècle) publié par l’École des chartes en 2000 (Actes des journées d’étude organisées par l’École nationale des chartes le 15 janvier 1998 et par l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques le 22 janvier 1998), j’aborde ici l’histoire des grandes collections de manuscrits littéraires. Je me contenterai de résumer simplement cet article et d’inviter mes lecteurs à se procurer cet ouvrage passionnant consacré aux catalogues de ventes.

Les Ventes de livres et leurs catalogue (XVIIe-XXe siècle), École des Chartes, 2000;

Premier temps : la littérature, parent pauvre des collections d’autographes

L’âge d’or de la collection de manuscrits littéraires peut être compris entre deux dates : 1935 et 1989. Avant, la littérature était peu recherchée sur le marché des manuscrits et des lettres autographes. Et pour être catégorique, jusque vers 1830, le marché des autographes au sens le plus large possible était inexistant (à l’exception des manuscrits médiévaux et de la Renaissance). Les premières grandes collections sont surtout consacrées aux documents historiques. Néanmoins, à mesure que nous progressons dans le XIXe siècle, nous retrouvons dans des collections dispersées en salle de ventes des manuscrits littéraire. Timidement d’abord comme en 1837 lors de la vente Monmerqué où l’on retrouve au catalogue deux lettres et un manuscrit de D’Alembert ainsi qu’un manuscrit de Jacques Amyot. Ou en 1850 lors de la vente de Villenave (1824 lots, 17 vacations) : Manuscrit autographe de Bossuet, de Sade (Zélonide) de Antoine Arnauld, de Jean-Jacques Rousseau, de Voltaire et de Mirabeau entre autres.

Premier tournant : les grandes ventes de la fin du XIXe siècle

Ensuite, un premier tournant important se produit vers la fin du XIXe siècle avec la vente des grandes collections, et parmi elles la célèbre trilogie de ventes qui par leur immense catalogue constituent encore aujourd’hui  des références précieuses pour les marchands et les collectionneurs : la Vente de Benjamin Fillon (1877-1883), la vente d’Alfred Bovet (1884-1885) et la vente d’Alfred Morrison (1883-1896). À ce sujet Thierry Bodin écrit :

« Ce n’est qu’à la fin du siècle qu’on voit un mouvement nouveau se dessiner pour passer de la collection d’autographes à la collection de manuscrits littéraires, principalement contemporains ; en effet, il n’y a pas ou très peu de manuscrits littéraires des XVIIe et XVIIIe siècles ; mais l’écrivain du XIXe siècle va se préoccuper de garder ses propres manuscrits ».

Le catalogue de vente de la célèbre collection d’Alfred Bovet (1884-1885)

Les bibliothèques dispersées de personnalités ayant appartenu au champ littéraire renforcent aussi l’intérêt et la curiosité des collectionneurs : Jules Janin (1877), Champfleury (1890-1891) et de Poulet-Malassis (1878) l’attestent. Les lettres et manuscrits de Baudelaire, Hugo, Balzac, Chateaubriand et tant d’autres font des incursions remarquées dans les catalogues.

La première grande collection de manuscrits littéraires est à mettre au crédit de Charles Spoelberch de Lovenjoul (1836-1907). La collection rassemblée entre 1853 et 1907 reste à ce jour probablement inégalable par l’importance des manuscrits : Balzac, Théophile Gautier, Sainte-Beuve, George Sand et presque tous les romantiques. Cette collection a été léguée à l’institut de France en 1907.

Le début du XXe siècle : le manuscrit littéraire, un des fleurons de la bibliophilie

Les manuscrits et lettres autographes des grands écrivains sont désormais considérés et très recherchés. Ils occupent des places importantes dans les catalogues de ventes et parmi ces derniers citons notamment la vente de Victorien Sardou (1909-1910), Arthur Meyer (1924) et Robert de Montesquiou (1923-1924).

La toute première collection importante de manuscrits littéraires présentée en vente publique est celle de Georges-Emmanuel Lang (1925) : Apollinaire (manuscrit du Bestiaire), Balzac (Les Fantaisies de Gina), Barbey d’Aurevilly (Ce qui ne meurt pas), Baudelaire (Amoenitates Belgicae), Carco (L’Équipe), Gide (Cahiers d’André Walter), Huysmans (Là-bas et L’Oblat), Jarry (Ubu roi), Maupassant (Bel-Ami et Une Vie), Jules Renard (L’Écornifleur), Zola (Le Docteur Pascal)…

Le catalogue de vente de la bibliothèque de Louis Barthou (1935-1936)

En 1935-1936, la bibliothèque de Louis Barthou est dispersée en quatre vacations. 2143 numéros de manuscrits et de livres précieux et inestimables : Chateaubriand (le livre XX des Martyrs), Marceline Desbordes-Valmore (Les Pleurs), Camille Desmoulins (Entretiens de deux philosophes), Flaubert (Mémoire d’un fou), Victor Hugo (deux chapitres de Choses vues sur le retour des cendres de Napoléon en 1840), Théophile Gautier (Journal intime), Juliette Drouet (Carnet de 1833), Voltaire (L’Épitre au prince de Vendôme), Pierre loti (Mon frère Yves), Verlaine (Sagesse, Cellulairement)…

L’après guerre : les dernières grandes collections

On ne compte plus après 1950 les grandes ventes publiques consacrées aux manuscrits littéraires. Citons tout de même la vente de la bibliothèque du Docteur Lucien Graux (entre 1956 et 1958) : carnets de Victor Hugo, testament de Stendhal, manuscrit de la première Éducation sentimentale de Flaubert, l’Improvisation d’un Faune de Mallarmé, A Rebours de Huysmans, Poèmes saturniens de Verlaine, les Illuminations de Rimbaud, etc.

Les années 50-60 sont marquées aussi par :  la vente René Gaffé (1956) avec ses manuscrits surréalistes, la vente Gérard de Berny (1958-1959), Pierre Guerquin (1959), la célèbre vente « JD » (Jean Dravray) en 1961, la vente de la collection d’Alexandrine de Rothschild  vendue anonymement en plusieurs vacations (1968-1969). Dans les années 80-90, la vente Jacques Guérin sera une des plus importantes de cette fin de siècle.

Mettons à part pour finir une dernière grande vente, quantitativement et qualitativement ahurissante, celle du colonel Daniel Sickles (1904-1989). Après la mort de ce dernier, 21 ventes furent nécessaires pour disperser sa collection entre 1989 et 1997 ! 10.360 lots catalogués et je ne cite que ceux qui sautent aux yeux : Barbey d’Aurevilly (deux nouvelles des Diaboliques), Baudelaire (67 lettres à sa mère, Le Voyage à Cythère, le contrat des Fleurs du Mal), Alphonse Daudet (Les contes du Lundi), Flaubert (les cahiers du Voyage en Orient, Le Candidat), Théophile Gautier (Mademoiselle Dafné), Les frères Goncourt (Germinie Lacerteux et la correspondance à Zola), Victor Hugo (épreuves corrigées des Misérables), Jules Laforgue (Les Moralités légendaires), Mallarmé (Les Fenêtres), Maupassant (Une vie), Octave Mirbeau (Le Jardin des supplices), Gérard de Nerval (Poésies et Poèmes), la comtesse de Ségur (Les Malheurs de Sophie), Stendhal (Histoire d’une partie de ma vie 1811), Verlaine (Bonheur, Dédicaces, Dans les limbes), Zola (préface de L’Assommoir et discours sur l’Affaire Dreyfus)… une collection vertigineuse.

Un des catalogues de vente du fonds de la librairie Pierre Bérès.

Nous pourrions inclure à cette liste la vente de Pierre Bérès (traitée de manière incomplète sur ce blog). Mais cette vente appartient déjà au XXIe siècle. Des collections telles que celles citées dans cet article paraissent aujourd’hui irréalisables. 

Victor Hugo de retour d’exil

Notre Galerie propose ce mois-ci une intéressante lettre autographe signée de Victor Hugo. Cette lettre écrite de Paris est datée du 16 octobre 1870 et est adressée à Albert Barbieux (journaliste et gérant au quotidien Le Rappel).

Cette lettre est datée seulement que de quelques semaines après le retour de Victor Hugo en France (5 septembre 1870). À la suite du coup d’état de Napoléon III (2 décembre 1851), l’écrivain s’était rapidement opposé au nouveau régime. Poursuivi par la police impériale, sa famille et lui s’étaient réfugiés à Bruxelles en 1852 puis à Jersey et Guernesey, dix-huit longues années sans revoir la France. Cette lettre est relative à son recueil Les Quatre vents de l’esprit. Hugo avait commencé à réfléchir puis à travailler sur ce nouveau recueil en 1870. Il écrivit à ce propos : « J’ai une oeuvre prête à être lancée à la mer… » (mai 1870). Les évènements de la Commune puis l’avènement de la IIIe République, retardèrent la publication. Le livre ne sera édité finalement qu’en mai 1881.

Victor Hugo à Guernesey où il trouva refuge entre 1855 et 1870.

Nous retranscrivons ici le contenu de cette lettre : « Mon honorable et cher concitoyen Albert Barbieux, en réponse à votre lettre en date du 13 octobre courant, j’ai l’honneur de vous faire savoir que j’accepte, en ce qui concerne mon traité avec M. Lacroix (27 septembre 1868), le remplacement de MM. Lacroix et Panis par la société du Rappel, et que je tiens à la disposition de la société le manuscrit des Quatre vents de l’Esprit. Recevez l’assurance de mes sentiments de cordialité. Victor Hugo ».

Cette lettre (reproduite ci-dessous) est en vente à notre galerie : https://www.galeriethomasvincent.fr/1267-hugo-victor-autographe.html

Lettre autographe signée de Victor Hugo en date du 16 octobre 1870.