Une lettre autographe de Picasso à Apollinaire
En lisant l’excellent ouvrage Les Archives de Picasso, « On est ce que l’on garde » (Edition de la Réunion des musées nationaux, Seuil, Paris, 2003), je suis tombé sur cette lettre autographe signée de Pablo Picasso à Guillaume Apollinaire, datée du 8 juillet 1918.

La lettre est très émouvante puisque Picasso rappelle à son ami qu’il doit être témoin à son mariage prévu le lendemain avec Olga Khokhlova, danseuse russe qui participa aux ballets de Serge Diaghilev. Dans cette lettre, il lui écrit : « Mon cher Guillaume, tu dois avoir eu ma lettre pour que tu sois à la mairie du 7e à 5 heures demain mardi. Je voudrais savoir si tu penses venir. Si pour quelque chose tu serais empêché, dis le moi pour que je tache de trouver un autre témoin pour demain. Bien à toi mon cher ami. Picasso« .
Finalement, les noces eurent lieu trois jours plus tard (12 juillet). Elles furent célébrées à l’église russe en présence notamment des trois témoins : Jean Cocteau, Max Jacob et Guillaume Apollinaire. La lettre est écrite sur le papier à en-tête de la maison de santé où était hospitalisée Olga depuis son accident. La jambe cassée, Olga mettra un terme définitif et bien malheureux à sa carrière de danseuse.
En lisant cette lettre, trois pensées me sont venues. D’abord, quelle merveilleuse liberté que de se demander la vieille de son mariage si son témoin viendra ou non. Bien qu’il n’aurait pas été difficile pour Picasso de trouver un remplaçant, on devine que la cérémonie ne devait pas angoisser plus que ça Picasso. Peu de conventions, un soupçon de bohème, le bateau-lavoir en somme. Ensuite, quelle richesse historique et culturelle, ou quelle jonction rare de talents. En terminant la lecture de cette lettre, on entend comme un un long écho : Picasso, Apollinaire, Olga, Diaghilev, les ballets russes, Cocteau, Max Jacob, Paris… tout un univers qui aujourd’hui fait encore rêver et passionne les historiens et les amateurs d’art. Enfin, comment ne pas penser aussi au destinataire en regardant la date. Guillaume Apollinaire, revenu blessé de la guerre, allait mourir quelques mois plus tard en novembre 1918. Il s’était marié en mai de la même année avec Jacqueline et ses témoins avaient été Ambroise Vollard, Gabrièle Buffet et… Picasso.
Conclusion ? Voici l’exemple type de l’importance du contenu d’une lettre autographe et ce qui par conséquent constitue sa valeur. Cette lettre qui au premier abord peut sembler intéressante sans a priori bouleverser nos connaissances ou la marche du monde, est le strict reflet d’un univers particulier et pas le moindre, celui qui accoucha d’une multitude de révolutions artistiques durant la Belle-Époque (et par la suite). J’écris cela car si l’on me demande souvent en ma qualité de marchand ce qui fait la valeur d’une lettre autographe ou d’un manuscrit, je réponds toujours que le contenu prime avant toute chose. Cette lettre de Picasso est ce que je considère un trésor. Je parlais précédemment d’un « écho ». Je pourrais aussi citer Flaubert qui parlant de l’odeur des châteaux écrivait qu’ils sentaient « l’exhalaison des siècles ». Cette lettre exhale totalement son époque et seul les trésors en sont capables. Et si l’on en revient à l’aspect le moins noble de mon métier, à savoir les prix, un manuscrit tel que celui-là en a t-il un ?

Note : Flaubert écrit exactement dans L’Éducation sentimentale : « cette exhalaison des siècles, engourdissante et funèbre comme un parfum de momie, se fait sentir même aux têtes naïves… » Funèbre peut-être mais je reprend ici que cette expression d' »Exhalaison des siècles » dont la signification correspond selon moi très bien aux plus belles lettres autographes.
Nous n’avons pas actuellement de lettres autographes de Picasso à notre catalogue. Néanmoins, vous retrouverez un manuscrit autographe de Jean Cocteau sur Louis de Vilmorin, une lettre autographe de Max Jacob sur la mort de Guillaume Apollinaire et une lettre autographe d’Ambroise Vollard.