Robespierre à Danton : Petite polémique derrière une grande lettre
Ils ont été nombreux à s’émouvoir. Historiens, écrivains, politiques, en tout une trentaine de personnalités de tous horizons ont signé une tribune dans Le Monde, le mars 2023, s’offusquant de la mise en vente aux enchères d’une lettre de Robespierre à Danton (la seule connue). Annie Duprat, Erik Orsenna, Jean-Luc Mélenchon, Stéphane Bern etc. Tous regrettent que cette lettre du 15 février de l’an 2 de la République [1793] ait été acquise par un collectionneur privé et non préempté par l’État. A cela, n’oublions pas le prix. Oui le prix, car il a son importance : 218.750 euros avec les frais d’adjudication. Alors évidemment, la somme est importante, mais l’État s’est déjà aligné sur des montants nettement plus élevés par le passé. Il faut croire qu’il n’a pas jugé bon de s’indexer sur le prix de vente pour préempter, et à raison : Au delà de la relique, d’un géant de la Révolution à un autre, la lettre ne nous apporte pas grand chose d’un point de vue historique. Elle ne fait qu’une page, le ton employé par Robespierre est émouvant : « Je t’aime plus que jamais et jusqu’à la mort » (on reconnaît là toute la grandiloquence employée par les révolutionnaires de 89), lui qui enverra sont ami à l’échafaud l’année suivante… Le format idéal pour un collectionneur (« like it frame it » comme disent les anglo-saxons).

Pour une remise en contexte, Danton venait de perdre sa première épouse, Gabrielle. Le tribun ayant apprit qu’elle était morte (le 10 février 1973) alors qu’il était en mission de Paris pour la Convention. Il rentra précipitamment et la fit déterrer pour faire mouler son visage par le sculpteur Deseine, afin d’en conserver les traits à jamais. La légende dit qu’il l’embrassa à pleine bouche à plusieurs reprises.
« Mon cher Danton, si, dans les seuls malheurs qui puissent ébranler UNE ÂME TELLE QUE LA TIENNE, la certitude d’avoir UN AMI TENDRE ET DÉVOUÉ peut t’offrir quelque consolation, je te la présente. Je t’aime plus que jamais et jusqu’à la mort. Dans ce moment je suis toi-même. Ne fermes point ton cœur aux accens de l’amitié qui ressent toute ta peine. Pleurons ensemble nos amis ; et FESONS BIENTÔT RESSENTIR LES EFFETS DE NOTRE DOULEUR PROFOND[E] AUX TIRANS qui sont les auteurs de nos malheurs publics et de nos malheurs privés. Mon ami, je t’avois adressé ce langage de mon cœur, dans la Belgique [Danton y effectuait alors une mission avec d’autres conventionnels]. J’aurois déjà été te voir, si je n’avois respecté les premiers momens de ta juste affliction. Embrasses ton ami
Robespierre »
Le contenu complet de la lettre étant à la porté de tous les chercheurs et universitaires, tous s’émeuvent alors que le document ne soit pas dans les tiroirs de la BnF… On cherche donc à conserver une relique. L’État connaissait l’existence de cette missive depuis déjà trois ans ! En effet, rappelons qu’elle est passé aux enchères, par deux fois : Une fois en 2021 chez Drouot Estimations (par le fonds Aristophil) et reliée dans un ouvrage contenant mille et un trésors révolutionnaires, dont plusieurs écrits capitaux de Charlotte Corday, Danton, Marat, Desmoulins, Théroigne de Méricourt et j’en passe, en tout soixante-dix noms de la Révolution : Non vendu pour…. 120.000,- euros ! L’ensemble est donc repassé en novembre 2022 et a cette fois trouvé acquéreur (un libraire parisien) pour 162.500,- euros. Ce dernier n’a pas tardé à remettre la lettre dont il est ici question aux enchères, en mars 2023, et quelle opération !
Alors vraiment, non, il n’y a pas de quoi s’émouvoir. Si nos chers offusqués se réveillent en mars 2023, ils avaient tout loisir de s’en porter acquéreurs trois ans en arrière pour vil prix ! N’est-ce pas ? La lettre restera dans le cercle privé et c’est très bien comme cela.